mercredi 29 octobre 2014





Puisque rien ne dure

de

Laurence Tardieu






"Je meurs, voilà ce qu'elle m'écrit Vincent je meurs viens me voir viens me revoir une dernière fois que je te voie que je te touche que je t'entende viens me revoir Vincent je meurs. Et au bas de la feuille, en tout petit, presque illisible, son prénom, Geneviève, tracé lui aussi au crayon à papier, comme le reste de la lettre, de la même écriture tremblante, défaillante, si ce n'avait pas été ces mots-là on aurait pu croire à l'écriture d'un enfant, on aurait pu sourire, froisser la feuille, la jeter à la poubelle et l'oublier ; mais non, ce n'est pas un enfant, c'est Geneviève qui meurt." 













Extraits choisis : 

"Certains êtres, à mesure que le temps passe, deviennent de plus en plus libres : ils se redressent au lieu de s'affaisser. Il émane d'eux une énergie étonnante. Ils sont lumière pour qui les rencontre. J'aimerais savoir ce qu'ils ont fait des ombres de leur passé. De leurs regrets, de leurs déchirures. Comment ils s'en sont arrangés.





Parce qu'on oublie rien, je le sais ce soir. On n'oublie rien. Quand bien même on s'est efforcé du contraire : le passé vit en nous. Masse informe tapie au plus profond de soi, qu'on pourrait croire endormie mais qui veille... Alors eux, ces êtres de lumière : comment font-ils ?"







"Ce matin je suis entrée dans sa chambre, je me suis allongée sur son lit, entre ses peluches. J'en ai mordu une pour empêcher mes larmes de couler."







J'ai parfois eu du mal à avancer dans la lecture de ce roman, les yeux  brouillés, la gorge nouée, le cœur battant. Passant par toutes les émotions, posant de temps en temps le livre pour souffler un peu, laissant mon regard se perdre au delà de la cime des arbres derrière ma fenêtre. 

Il y a des romans dont on ne sort pas indemne, qui nous touchent à tel point qu'on ne les oublie jamais, qui laissent une trace, fatalement. Il y a des romans qui durent en nous ...











PASSE ME VOIR UN DE CES JOURS


de


Erika Krouse








Traduit de l'américain par Marianne Veron










"Je n'ai pas tellement de chance avec les hommes. Joe et moi, après trois ans de vie commune, avions trouvé un terrain d'incompréhension totale. nous avions des points de vue différents sur tout, de la métaphysique aux pizzas. Joe disait que s'amuser était le but de la vie, mais je ne suis pas d'accord -je pense qu'avoir un but est le but de la vie. Quand j'ai dit ça; Joe a dit "Tu dis but plus de deux fois dans une phrase, et ça devient du charabia." puis il a dit : "But but but  but but but", jusqu'à ce que je lui plaque ma main sur la bouche. 
Maintenant, assise à ma table dans le bar de l'hôtel, j'ai dit à voix haute : "Ça vaut mieux que de ne pas avoir de but du tout." "


Jeunes, pleines d'esprit, sentimentalement nomades, les héroïnes de ces nouvelles ne sollicitent pas notre sympathie.
Elles assument avec lucidité leur désarroi quand les aléas de la vie les condamnent à la solitude. Toujours prêtes à courir le risque de l'amour, elles accueillent avec philosophie les petits bonheurs quotidiens mais refusent de s'en satisfaire.





Daniel Giraud, sculpteur




Extrait choisi :

"Tom avait changé. Il était juste un type qu'elle avait connu intensément pendant cinq ans, rien de plus. Un homme aux cheveux mal coupés. Elle connaissait l'implantation de chacun des cheveux qui lui poussaient sur la tête, et le savoir paraissait à présent tellement absurde qu'elle fut prise d'une envie de s'asseoir avec la tête dans les mains."










Un style simple, naturel, mais d'une grande originalité. 

L'amour sous toutes ses coutures, l'amour au quotidien, tendre, délirant, trash, passionné, doux, fou, mou ... 

Toutes ces sortes d'amour qui satisfont...ou pas. 

Une lecture agréable mais pas seulement, Erika Krouse peut nous étonner, nous surprendre là où on ne l'attend pas. 

J'aime ...






Cultive ton jardin, p'tit bigleux !

de

Philippe MENAUT












"Dans l'ignorance je suis né valide, 
dans la méconnaissance je suis devenu handicapé,
par méconnaissance on me confisque ma validité."










Du détour autobiographique 
d'un handicapé de la vue
à une écologie de l'existence








Résumé :
"Philippe Menaut retrace son parcours d'homme ordinaire, handicapé de la vue, qui cherche à prendre les rênes de sa vie. 
De cette petite enfance, joueuse et joyeuse, à cette autre "placée" sous le sceau du handicap, à coups de ballon, de vélo ou d'automobile, il vous guide et vous fait visiter son adolescence, celle de la libération qui pose les fondements de l'homme de conviction qu'il deviendra.
D'épisode en épisode, d'émotions en rebondissements, l'étudiant, le professionnel, le père et le formateur se succèdent. Ils tentent, chacun à son tour, de remettre la main sur la souveraineté confisquée au moment de l'affirmation du diagnostic visuel. Sous la forme d'un feuilleton, l'itinéraire dont il est question ici est celui de la quête de soi-même pour advenir, en paix, un libre invalide.
Du rock puissant de la transgression et de la rébellion au blues de la résistance et de la convivialité, de Nadia la petite "Harki" d'Alain Tasma à Michel de Certeau, de Coluche à Francisco Varela, les "études" aident l'homme à se trouver. Et à comprendre que, de la même façon que les théories ne sont pas immuables, les choses ne sont jamais définitivement inscrites. l'engagement et les valeurs, en tant que lois fondamentales, sont l'essence de l'auteur."









"Pour aller et venir aussi librement que souhaité sur l'agglomération, j'abandonne mon Solex rouillé, qui ne sait pas de quel côté s'écrouler, pour une mobylette au look ouvrier avec sa paire de sacoches. Dans le flot de la circulation, je me prends un peu pour Zorro. [...] Privé de tout espoir de pouvoir passer un permis de conduire, pour faire face à la frustration de ne jamais devenir un motard et afin de m'octroyer une relative indépendance de déplacement, je vais nourrir une relation toute particulière avec ces deux roues. Elles sont de toutes mes aventures."







"Pour beaucoup, la perte de la vision est perçue comme un drame insurmontable engendrant une incapacité d'action. 
C'est le voyant qui fait l'aveugle à partir de ce qu'il pense être la cécité et la basse vision. 
Pour beaucoup, la perte de la vue est assimilée à la perte de la vie. 
Le noir imaginé renvoie au néant, à la destruction, à l'angoisse."










De belles touches de théories qui viennent  appuyer les mots, si durs parfois. Des descriptions agrémentées de collages-photos, images liées à des moments forts, qui permettent de nous transmettre de tendres ressentis. 
Nous voilà embarqués...

Un récit autobiographique puissant, un roman-histoire de vie, un roman-espoir de vie, qui dit que le handicap peut aussi être une force. 












Syngué sabour


Pierre de patience

de 

Atiq Rahimi











Syngué sabour signifie en persan "pierre de patience". 





Là-bas, on raconte que jadis existait une pierre magique à laquelle on peut se confier : "La pierre t'écoute, éponge tous tes mots, tes secrets, jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate. Et ce jour-là, tu es délivré de toutes tes souffrances, de toutes tes peines."









Extrait choisi :

"la femme vient jeter un regard inquiet vers l'homme. Elle craint, peut-être, que l'appel aux armes l'ait remis sur pied !
Elle reste non loin de la porte. Ses doigts caressent ses lèvres, puis nerveusement, s'enfournent entre ses dents, comme pour extraire des mots qui n'osent pas sortir. Elle quitte la chambre. On l'entend préparer quelque chose pour le déjeuner, parler et jouer avec les enfants.
Et puis la sieste.
Les ombres.
le silence." 







"Bonheur, malheur, gloire défaite...
Les moments se succèdent, l'un n'est jamais très éloigné de l'autre"







Pour la première fois, c'est en français que l'auteur d'origine afghane a décidé d'écrire.Une façon de saluer son pays d'adoption et une belle idée puisque l'oeuvre a remporté le prix Goncourt en 2008. 














Un roman fort, qu'on ne lâche plus une fois commencé, 
qui nous tient éveillé jusque tard dans la nuit ... 




mercredi 27 août 2014





NUE

de 

Jean-Philippe Toussaint






Patrick Shourds






Quel étrange bonheur de retrouver ces deux personnages qui continuent de jouer 
au chat et à la souris, 
de se blesser pour mieux s'abandonner l'un à l'autre. 
Le narrateur est amoureux,
 fou d'un bel amour complexe, 
qui fait mal. 
Cet homme est un romantique qui prolonge la douleur de l'absence 
en se remémorant de sensuels souvenirs de sa belle Marie. 
Un roman qui transporte loin grâce à cette même écriture d'une intense poésie.
Etonnante, envoûtante, exotique, érotique ...unique.













Mon extrait favori :
"Et c'est alors que je la vis, je l'aperçus à travers les vitres du café, elle était assise dehors sur une banquette en osier, le dos collé à la vitrine, qui fumait une cigarette dans la nuit, immobile dans le vent et la pluie. Elle était là, dehors, au seuil de la place Saint-Sulpice illuminée dans la nuit, qu'elle observait fixement, sa cigarette à la main, le bras légèrement relevé, le poignet désaxé, de la fumée s'élevait très lentement dans les airs en volutes hésitantes, et j'apercevais le bout rouge incandescent de l'extrémité de sa cigarette  qui s'intensifiait à chaque fois qu'elle tirait une bouffée. Je voyais sa chevelure de dos, ses cheveux emmêlés dans le vent et la pluie qui tombait sans discontinuer devant elle. Des gouttelettes, à l'occasion, éclaboussaient son visage, et son long manteau était trempé, ainsi que son écharpe qu'elle avait remise pour sortir. Il n'y avait personne dans le quartier ce soir-là, la pluie avait retenue les gens chez eux, il n'y avait que nous sur la place Saint-Sulpice, moi dans cette espèce de passerelle de navire vitrée qui donnait sur l'horizon enténébré, et elle, dehors, en figure de proue devant l'océan invisible".







Gilles Soudry

mardi 17 juin 2014




FUIR


de 


Jean Philippe TOUSSAINT








Et voilà, ça se confirme, 
je crois que j'aime pour de bon et
 définitivement 
le style de 
Jean Philippe Toussaint, 
son  écriture pleine de fantaisie
 et d'une profonde sensualité.


Ce deuxième volet de l'histoire de Marie m'a vraiment enthousiasmé.


Une course folle, 
en avion, bateau, moto, cheval, corbillard ... 
peu importe le moyen de fuir, 
on suit, on fuit nous aussi.
Même si l'on ne sait pas toujours où, 
ni pourquoi ...








Résumé : 

"Pourquoi m'a-t-on offert un téléphone portable le jour même de mon arrivée en Chine ? Pour me localiser en permanence, surveiller mes déplacements et me garder à l’œil ? J'avais toujours su inconsciemment que ma peur du téléphone était liée à la mort - peut-être au sexe et à la mort - mais, jamais avant cette nuit de train entre Shanghai et Pékin, je n'allais en avoir l'aussi implacable confirmation."








"Penché à la fenêtre, je sentais l'horizon et la courbure de la terre planer et tournoyer autour de moi, j'apercevais des lignes à haute tension qui défilaient obliquement dans le ciel, les poteaux électriques en enfilade qui apparaissaient fugacement et disparaissaient aussitôt de ma vue, promptement avalés par la vitesse du train qui les laissait sur place. Ma chemise plaquée contre mon torse, je gardais les yeux ouverts à la face du vent qui m'assaillait, de grains de sable et de poussière pénétraient dans mes yeux, des éclats d'argile et d'infimes gravillons, ma vue commença à se brouiller, et, dans un brouillard aqueux, liquide, tremblé et faiblement lumineux, mes yeux embués conçurent dans la nuit noire des larmes aveuglantes."







vite ... le tome 3 ... ! :-)



mercredi 28 mai 2014




FAIRE L'AMOUR

de

Jean-Philippe TOUSSAINT




Résumé : 

C'est l'histoire d'une rupture amoureuse, une nuit, à Tokyo. C'est la nuit où nous avons fait l'amour ensemble pour la dernière fois. Mais combien de fois avons-nous fait l'amour ensemble pour la dernière fois ? Je ne sais pas, souvent.








Une écriture fluide et sensuelle, 
des contrastes et des déliés, 
de la violence et de la sérénité. 
Tout est là, tout y est...








"Je la regardais, elle s'était laissé tomber à plat ventre sur le lit au milieu de ses robes qui s'étaient fanées sous le poids de son corps et dégringolaient sur le sol en cascades paresseuses de tissu affaissé, et elle pleurait , mon amour, le visage enfoui dans un volant de robe qui se mêlait à ses cheveux."






"Nous nous aimions, mais nous ne nous supportions plus. 
Il y avait ceci, dans notre amour, que, 
même si nous continuions à nous faire plus de bien que de mal, 
le peu de mal que nous nous faisions était devenu insupportable."









Vite, je veux Fuir ... le second roman du "cycle de Marie"