Un
roman richement documenté (articles, essais, discours, correspondance et
interviews inédites), avec nombre de réflexions fines et pertinentes, dans
lequel, certes, on ressent l'importance pour Pierre Juquin de ne rien laisser
dans l'ombre, mais qui engendre parfois, de terribles longueurs d'après
moi...
L'auteur
nous livre, dans les moindres détails, jusqu'aux aspects les plus intimes, les
plus sombres, de l'existence de Louis Aragon, à commencer par sa naissance,
certifiée le 3 octobre 1879 (date approximative), en tant que "fils de père et
de mère non dénommés". Une famille toute entière qui lui dérobe son identité, le
faisant passer pour "fils d'amis décédés, et adopté" ou "enfant
trouvé".
Ce
petit Aragon qui a entretenu pendant 20 ans une relation frère-sœur ambiguë avec
Marguerite, sa mère biologique, et qui croyait que son père était son
"parrain"...comment a-t-il pu dépasser ses douleurs enfouies?
Aragon
(nous éviterons le "Louis", prénom royal, qu'il rejetait), né de l'obscurité,
nous illumine pourtant magnifiquement de ses mots. Bel exemple de résilience à
travers laquelle on peut aisément imaginer l'importance primordiale de la
lecture et de l'écriture. L'écriture comme empreinte maternelle, puisque
Marguerite, sa "mère-sœur", écrivait elle aussi.
Aragon
lisait tout ce qui lui tombait sous la main et écrivait tout le temps. "Je ne me
souviens pas d'un temps où je n'ai pas écrit" affirme-t-il. Avant même de
connaitre son alphabet, Louis aurait dicté des textes à ses tantes qui
l'encourageaient. Plus grand, il écrivait partout, "sur n'importe quoi, le
papier, les murs, avec une passion violente". En écrivant, "il salissait tout,
les nappes, les cabinets qu'on vient de repeindre, l'intérieur des placards.
C'était infernal". Ce jeu " l'enflammait ".
Le mot
"style" chez Aragon a un double sens : façon d'écrire ; façon de vivre. "La vie
vaut la peine d'être vécue, si on ne se résigne pas à la bêtise bourgeoise.
Avant tout mettre en accord ses actes et ses paroles. Ce n'est pas seulement ce
que l'écrivain dit qui compte, mais ce qu'il fait. On appellera bientôt cela,
d'un mot qu'Aragon déteste : l'engagement. Ce faisant, se tourner vers autrui.
Malheur à l'intellectuel solitaire ! Il n'y a pas de place pour celui qui n'aime
pas les autres humains. Contre la dureté du cœur, contre l'égoïsme de classe,
Aragon en appelle à la fraternité."
L'histoire personnelle,
affective d'Aragon m'a touchée profondément (un peu dommage tout de même qu'il
faille tant farfouiller parmi toutes ces informations pour trouver l'homme
derrière le militant communiste). Je reconnais avoir surtout été intéressée,
passionnée, par les aspects humains égrenés au fil du roman, l'Aragon politique
éveillant moins ma curiosité, même s'il est évident que la naissance du
communiste a fait de ce poète-écrivain un militant acharné dont l'œuvre
sera complètement inspirée par les actions menées.
Corps et
cerveau, Aragon est en mouvement, toujours. "Aragon ne reste jamais en place. Il
est intolérablement remuant, et il a besoin pour parler, pour discuter, de
remuer, de marcher de long en large, et quand il arrive au bout de la pièce, de
faire une pirouette [...]. Entre deux phrases on peut voir qu'il a des cheveux
gris et un visage très mince. Comme son corps, très délié, très vivant, avec une
vitalité, une vivacité, c'est le mot juste, qui est un peu épuisante pour tout
son entourage." Joli portrait brossé par Claude Roy qui fut très proche
d'Aragon.
Cet homme, instable et tourmenté, se
laissera séduire par Elsa, jeune femme "cabossée par la vie", "libérée, dotée
d'une culture rationaliste et raffinée, engouée des arts et passionnée de
livres, aimant le théâtre, ouverte aux nouvelles cultures [...], ayant l'usage
du monde et une curiosité sans limite [...] Mais elle est déracinée, nomade.
Elle est sans ressources et cherche une place dans la société, la dépression la
mine. C'est l'anti-femme fatale." Cette rencontre, Aragon en fera un
mythe édifiant. Mais "la vie quotidienne se dérobe au
mythe".
Il n'est
pas d'amour heureux...
Dans une
lettre sublime adressée à son amant, Elsa livre son désespoir et ses déceptions
: "Je te reproche de vivre depuis trente-cinq ans comme si tu avais à courir
pour éteindre un feu. Dans ta course, il ne faut surtout pas te déranger, ni te
devancer, ni t'emboiter le pas, ni te suivre [...] il ne faut surtout pas
s'aviser de faire quoique ce soit avec toi, ensemble." Elsa parle de cet homme
qu'elle aime comme d'un monstre d'égoïsme qui la rend terriblement
malheureuse...et si seule. Alors qu'Aragon, constamment en activité et épuisé,
sombre lui aussi.
De leur
amour, Aragon dira ces mots : "pour autant que j'en puisse juger, tout amour est
toujours menacé. Menacé par le temps, par le mal physique, par les malentendus,
par les autres, par l'évènement, l'absence, la misère. [...] Rien n'est fragile
comme ce lien de l'homme et la femme. Il suffirait de si peu pour que cela se
brise et qu'on meure."
Même si
la lecture de ce roman très historique m'a semblé parfois ardue et manquant de
légèreté, je compte bien ne pas me laisser impressionner par le tome 2 !
;)
Aragon
disait lui-même : " la critique devrait, en matière de littérature, être une
sorte de pédagogie de l'enthousiasme ". Alors enthousiasmons-nous !
:)