mardi 18 mars 2014








RÊVE D'AMOUR

de

Laurence TARDIEU





"Nous sommes le 21 juillet 2006. Il est vingt heures. Je m'appelle Alice Grangé. J'ai trente ans. Gérard Oury est mort hier. Tout cela est certain. Vérifiable. Le réel. Je marche vers un homme que je ne connais pas. Ça encore le réel. Cet homme a aimé ma mère. Ma mère a aimé cet homme. Je n'en suis déjà plus sûre. Cet homme va me parler de ma mère. Je ne sais pas. Je vais retrouver quelque chose de ma mère. Je ne sais pas.
  Les choses les plus importantes sont-elles celles que l'on sait, ou celles que l'on cherche ?
  Je m'appelle Alice Grangé. J'ai trente ans. Je cherche ma mère. "











  
Quel style magnifique, sensible, subtil ! Le début du roman nous tient captif, on ose à peine respirer tant la tension est puissante, l'émotion à fleur de mots. Laurence Tardieu écrit avec toute son âme, elle livre tout de ses peurs, de ses troubles mais aussi de ses réflexions. 
Tant d'extraits que j'aimerais vous lire, tant de passages je voudrais retranscrire ici, ce roman m'inspire une folle envie de partage. Parce que quand c'est beau comme ça ...





"Variation bleu" 
Photo de Laurence Maron





"J'écris sur un cahier bleu, un cahier d'écolier à grosse spirale. Je me souviens du temps où j'apprenais à lire, sur des cahiers qui ressemblaient beaucoup à ce cahier bleu. J'ai toujours aimé apprendre. Aujourd'hui encore, en écrivant, je crois que j'apprends. J'écris des mots, qui entraînent d'autres mots, qui entraînent des phrases, qui entraînent des images, qui entraînent des pensées, qui entraînent d'autres mots, et cela recommence. Je laisse le mouvement se faire, je laisse le livre s'écrire. Je crois que ce que j'éprouve ressemble à ce que doit éprouver l'oiseau qui, pour la première fois, s'envole : l'espace qui s'ouvre devant soi, immense. le sentiment de liberté." 




Georges Braque






mercredi 5 mars 2014




JOURNAL D'UNE ÉTOURDIE

de

Luce Delobre






"Tout à l'heure en promenant le chien le long du lac, j'ai trouvé un revolver. Ou peut-être un pistolet, je ne connais pas très bien la différence, enfin une arme de gangster, un joujou fait pour tuer son prochain. Il était près d'un buisson, à moitié enterré sous des feuilles sèches, le canon pointé en l'air."








Petit roman à l'air de ne pas y toucher ... pourtant, cette étourdie-là va y toucher, sérieusement même. 
Un début léger et drôle, mais page après page, la lourdeur se fait, l'éclairage s'assombrit sur une histoire pas si légère, pas si drôle ...






Andy Warhol - Revolvers



"Je viens de le sortir du foulard pour l'examiner. J'ai mis des gants d'été, plus fins que ceux en cuir, je le sens mieux. Quoiqu'il me manque encore le contact du métal contre ma peau. Le côté lisse et froid, ce sont mes yeux qui le captent. [...] Finalement, c'est un pistolet. Je suis allée voir dans la Larousse illustré, la description du Robert ne m'éclairait pas beaucoup. Mais je continuerai à l'appeler le truc. C'est bien le mot qui convient puisque ça sert à, trucider, non ?"









Roman étonnant, prenant, à lire... 





mardi 4 mars 2014




LE BRUIT DES CLEFS

de

Anne Goscinny




"Le bruit de clefs" est publié dans la formidable collection "les affranchis", conçue et dirigée par Claire Debru chez NiL. 

Il est demandé aux auteurs d'écrire une lettre, une seule, pour s'affranchir ... Entre autres, Yves Simon et Annie Ernaux se sont également pliés à l'exercice. 

La lettre d'Anne à son père, René Goscinny, disparu trop tôt, est subtile, délicate, bouleversante.











" Ta mort a commencé à ma première matinée d'école. 
Tout le monde le savait. 
Parce que ta mort avait fait la Une 
des journaux télévisés du week-end.
Je voulais un lundi comme les autres. 
Comme les autres lundis et comme les autres enfants. 
Pas un lundi avec un mort dans mon cartable."












Les mots sont forts, parfois d'une grande violence, comme tout ce qui renvoie au vide immense de l'absence. Une lettre exutoire, déballage de cartable d'une petite fille  dans lequel tout était resté en l'état, dans un profond silence. Dans ce roman -qui n'en est pas un-  Anne Goscinny redevient la petite fille adorée de son papa et parle,  lui parle, comme on se jette à l'eau. Elle semble parfois se débattre dans ses propres phrases, perdue dans le temps et le bric-à-brac des souvenirs. Mais elle reste toujours juste et d'une profonde sincérité. 











"Cette lettre n'est pas un roman. Il n'y a pas de personnage. Pourtant je suis en train de te créer et à mon insu tu deviens mon personnage.
Cette lettre n'est pas un roman. Il n'y a pas d'intrigue, simplement un mort au début.
Tu sais, papa, tout se bouscule. Les choses viennent sans que je comprenne pourquoi elles viennent maintenant et comme ça. J'ai peur, en les écartant au prétexte d'incohérences chronologiques, qu'elles m'échappent."